La philanthropie ou le danger caché de l’économie cannibale et punitive.

jeovahEconomie de la Donnée ? Oh wait.

Humain, toi qui lis ces lignes sur ton navigateur préféré, tu sais que ton parcours a été enregistré, méthodiquement rangé dans une bibliothèque de profils, indexé dans un registre de contextes, prêt à servir la prochaine campagne de publicité ciblée sur laquelle tu tenteras de ne pas diriger une attention déjà fort sollicitée.

Au moment opportun, un opérateur se servira de ton travail de raffinage et d’exploration pour le transformer en contrevaleur, et cette contrevaleur le rémunèrera à son tour. Ton parcours donc, ton ubiquité tout relative, ta sérendipité rémunère un tiers.


Ce qui est vrai pour le parcours web d’un individu l’est pour toute action de tous les jours, qu’elle induise une interaction « digitale » ou non : transactions, déplacements, image faciale, conversations… Tout est prétexte à création de modèles, et donc générateur de business potentiel.

Le mécanisme de cette monétisation est tout à fait pervers, et symptomatique d’une logique de développement propre à certaines startups dont le crédo est « d’avaler » le contenu produit par un individu (son travail) et de le « recracher » dans un contexte marchand.

Oui, et alors ?

Rien de tout cela n’est nouveau, cette mécanique est à l’oeuvre depuis des années, et c’est tout le sel des business models de Facebook, Amazon et Google pour ne citer qu’eux. Le tourisme a vu déferler sur ses terres de nombreux briseurs de modèles, certains pour le mieux (Booking), d’autres pour le moins bien (Uber).

Mais on assiste à la naissance de paradigmes infiniment plus pernicieux – tant à la fois diaboliquement efficaces que véritablement dangereux.

Ne refaisons pas l’histoire.

Car l’objet de ce billet n’est pas de dresser l’historique des disruptions -sic- advenues ou en cours dans le milieu du tourisme, de sa promotion et de sa commercialisation : nous sommes loin de la fin de ce cycle ! Non, ce billet est une mise en garde aux professionnels dont la donnée est le coeur de métier, et parmi eux les institutionnels touristiques de référence : les Offices de Tourisme.

Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit.

Récemment, plusieurs Offices de Tourisme ont été contactés par une société soit-disant philanthrope dont je tairai le nom. Sur le papier, cette entreprise propose une solution de digitalisation de l’expérience de visite hors-normes : visites audioguidées, vidéos immersives, storytelling de destination, et même VR… Le tout, pour quel coût ? Rien.

« Nous sommes juste un support de diffusion. Nous ne cherchons pas à gagner de l’argent. Nous voulons devenir le Google du tourisme. »

Cette assertion pas banale eût du en faire réfléchir plus d’un. A l’heure où les institutionnels de tous milieux se mettent enfin en ordre de bataille pour constituer des concentrateurs – conscients que leur plus grande valeur est celle produite par leurs travailleurs spécialistes: la data ! – et ont toutes les peines du monde à réguler une übérisation à grande vitesse de la structure publique, admettez que ça a de quoi froisser une synapse.

Open Data, pas Open Bar !

Je suis un militant de l’ouverture des données de la première heure (du moins, à partir du moment où j’ai commencé à travailler dedans). Le mouvement Open Data est en marche, balbutie encore, mais consiste en un formidable cordon de sécurité pour des institutions en mal de légitimité.

Et c’est un contexte facile à réguler : créez un concentrateur, filtrez la sortie, poussez à l’innovation à partir de vos jeux de données. Simple, rapide, efficace, vertueux, ne nécessite pas de retraitement. Des tas de modèles de business peuvent se greffer dessus, et dans le registre du tourisme, la donnée est vitale. Sans compter le bénéfice politique à tirer de la sémantique de l’innovation !

Alors, pourquoi ce pamphlet ?

Il n’y a pas encore assez de concentrateurs. Les institutionnels ne sont pas bien formés, et ne bougent pas assez vite. Les collaborateurs pas assez aguerris pour résister aux charmes d’un commercial à l’air bienveillant : en face, ce sont des requins.

La mécanique à l’oeuvre est dangereusement perverse parce qu’elle permet à un opérateur tiers de cannibaliser purement et simplement toute la valeur ajoutée d’un professionnel. Une plateforme ambitionne de devenir le « Google du Tourisme » ? C’est le métier des Offices de Tourisme qu’elle prévoit de passer à la trappe. Et le pire, là dedans, c’est que les collaborateurs sont contents : le service proposé est de qualité.

Prenez garde, ils arrivent.

Ceci n’est qu’un exemple de service très dangereux pour les Offices de Tourisme, mais d’autres plus gros se préparent : ce mode de fonctionnement se répand à une vitesse virale.

Si les collaborateurs sont invités à « libérer » spontanément le fruit d’années de travail, de recherche et de raffinage, et s’ils le font avec la sensation d’oeuvrer pour le bien de leur destination, ils sont en réalité en grand danger de voir leur emploi menacé, et ce à court terme.

C’est en cela que cette économie est punitive : on vous promet un service de qualité, en contrepartie de quoi vous donnez tout ce que vous avez, sans compter; pour être in fine assimilé, puis recraché : überisé.

Il est grand temps de s’organiser. Car pour la bataille des données, ce monde n’est pas encore prêt.

Vous souhaitez émettre un contre-argument, ou prolonger le débat ? N’hésitez pas ! 

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire